Montpellier : « Le plus beau métier du monde est devenu un sale boulot », témoigne une enseignante

Enseignante pendant plus de trente ans dans le premier et le second degré, Mélika Morsli était sur le point de démissionner. Elle raconte pourquoi les conditions de travail des enseignants se sont terriblement détériorées depuis 5 ans.

Parlez-nous de votre parcours scolaire

Lorsque j’étais élève et surveillant à Montpellier, un proviseur m’a recruté en 1992 pour faire des remplacements et m’occuper de l’alphabétisation des nouveaux arrivants. J’ai passé un DEA de philosophie puis le concours des professeurs des écoles. J’ai longtemps enseigné à l’école primaire, où j’ai également été directeur puis professeur de philosophie il y a 5 ans à Montpellier. Mais j’aime plus le contact avec les petits et je suis retournée à l’école primaire dans une brigade de formation où nous assurons des remplacements très courts pour les collègues en formation. J’ai beaucoup tourné, alors, et j’ai réalisé une terrible dégradation en 5 ans des conditions de travail, même dans des lieux préservés comme des petits villages.

Comment les conditions se sont-elles détériorées ?

La loi qui permet l’intégration des enfants avec des troubles ou des handicaps est belle, mais aucun moyen n’a été mis en place pour y faire face. Il y a des enfants qui ont des troubles, certains notifiés, d’autres non. L’enseignant doit composer avec trois ou quatre niveaux dans la classe et se retrouve souvent seul avec des troubles parfois lourds comme l’autisme. Les IME (instituts médico-éducatifs d’accueil d’enfants en situation de handicap, ndlr) sont également en voie de disparition. Il y a des enfants sans soins appropriés, pour moi c’est de la maltraitance.

Le tout sur fond de surcharge de classe ?

Il y a six ans, dans les classes à double niveau, les effectifs étaient réduits. Maintenant, on a des niveaux doubles ou triples avec 30 élèves, c’est explosif ! La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses. Au lycée j’avais 38 élèves mais c’est un public différent, certains sont indépendants.

Le dédoublement des classes dans les zones sensibles va-t-il dans le bon sens ?

C’est quelque chose de très positif. C’est l’une des mesures les plus courageuses en matière d’éducation. Ces enseignants peuvent dire « enfin, nous pouvons faire notre travail ». Quand vous avez 12 élèves en grande difficulté, vous pouvez les aider, les individualiser. Il devrait être généralisé dans les quartiers, notamment à Montpellier centre, où le public est le même.

Il y a beaucoup moins de respect. Trop d’enfants abordent les enseignants comme des amis

Comment la relation avec les étudiants a-t-elle évolué ?

Il y a beaucoup moins de respect. Quand, à la maison, le travail n’est pas fait, trop d’enfants s’adressent à l’enseignant comme à leurs parents ou amis, sans distance. Pour beaucoup de parents, l’éducation nationale doit éduquer leur enfant. A croire que le nom devrait être changé. Certains enfants de 8 ans avouent s’endormir à 1 ou 2 heures du matin parce qu’ils sont scotchés à leur téléphone portable. Cela cause des problèmes d’attention

Les conflits avec les parents se multiplient ?

Oui et parfois pour les détails. Beaucoup d’enseignants ne peuvent plus être naturels. Il y a de plus en plus de parents litigieux. C’est si facile de rejeter la faute sur l’école. Nous sommes ici pour faire respecter les règles et vivre ensemble. Rappeler aux familles où l’enfant est roi conduit à des abus verbaux et même physiques. Et de nombreux confrères déplorent un manque de soutien de la hiérarchie. D’où l’importance des syndicats.

Depuis deux ans, j’ai rencontré beaucoup de collègues qui veulent démissionner

Allez-vous vous impliquer vous-même dans ce domaine ?

Pour tout vous dire, je voulais arrêter, négocier un accord mutuel et passer à autre chose. Le président du Snalc m’a convaincu de ne pas repartir déçu et de continuer en m’impliquant dans des tâches syndicales deux jours par semaine pour aider les collègues. Il y a beaucoup de plaintes mais si on ne se bat pas, surtout au premier degré, les choses ne changeront pas.

Parlons-nous de grosses vagues de départ ?

Il n’y a jamais eu autant de demandes que cette année. Les inspecteurs en refusent certains pour éviter les hémorragies car ils ont un énorme problème de recrutement. Depuis deux ans, j’ai rencontré beaucoup d’enseignants qui veulent démissionner. Ils me disent, « on n’a pas signé pour ça ». On avait un des meilleurs systèmes, quand on voit ce que ça devient… Du plus beau boulot du monde, on est passé au sale boulot. J’adorais l’école, l’odeur de la craie, je savais que je voulais faire ça. Vous ne pouvez pas faire ce travail si vous ne l’aimez pas, sinon il est impossible de le faire correctement. Et nous voilà dans le mur.

Avez-vous déjà entendu parler de cas de burn-out ?

Beaucoup sont à la limite. Mais il n’y a pas d’examen médical obligatoire pour nous. Il faut le demander pour l’obtenir et c’est un parcours du combattant. Vous pouvez imaginer les révélations si on le mettait en place… Ils ne veulent pas lever le couvercle.

Il y a eu un vrai rejet de Blanquer. Le nouveau ministre suscite-t-il un peu d’espoir ?

Pour le moment il est tellement absent que j’ai des doutes. Je trouve son silence lourd, j’aimerais qu’il se dévoile. Il a envoyé une lettre aux professeurs mais il n’y a rien de vraiment nouveau. Nous changeons les mots pour prétendre que nous changeons la réalité. On parle d’axes mais pas de moyens. augmenter les salaires des débutants aux auteurs de 2 000 €, très bien, mais les autres ? On a l’impression qu’à travers les réformes, ils veulent nous déstabiliser. Nous n’avons pas un métier facile, nous le choisissons par vocation et non pour le salaire. Beaucoup d’enfants du secteur public vont dans le secteur privé, donc les problèmes se déplacent. Ces établissements ne prennent pas de gants et tant pis pour les enfants qui ne veulent pas rentrer dans le moule.

Comment se passe la rentrée scolaire ?

Compliqué. Des tensions sont ressenties dans de nombreuses écoles. Vu la pénurie d’enseignants, le nombre d’indépendants sans diplôme, beaucoup sont épuisés. Pour le moment aucune action n’est prévue mais elle risque d’éclater. Personnellement, je serai en poste à Palavas à temps partiel avec une classe de CP. Il y a toujours la joie de découvrir de nouveaux visages, c’est ce qui nous fait avancer et réagir, mais nous savons que ce sera compliqué.

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